CE QUI REND LA VIE GOURMANDE
Au milieu de l’été, dans un mouvement qui ressemblerait à une petite tape dans le dos administrée par moi-même, j’ai décidé de commencer à noter tout ce qui avait rendu ces derniers mois délicieusement vivants et savoureux alors même qu’ils s’annonçaient comme les plus éprouvants.
Cette démarche fait finalement écho à celle tenue dans mon désormais livre préféré : le Sel de la vie, de l’anthropologue, ethnologue et militante féministe Françoise Héritier et dans l’exercice similaire auquel s’est prêtée Jessica Troisfontaines dans l’une de ses récentes newsletter, nous invitant à se prêter nous aussi au jeu. Certaines bribes de son écrit se retrouveront d’ailleurs dessous tant la puissance de ses mots peuvent parfois faire résonner en moi ce qu’il s’y passe. Je vous avais d’ailleurs déjà parlé de ces deux femmes dans un de mes derniers posts du mois d’août.
Le Sel de la vie c’est cet exquis petit ouvrage né d’une lettre écrite par l’autrice à un ami — une façon douce et malicieuse de lui faire remarquer qu’à force de courir après le temps, il en oubliait peut-être l’essentiel. Elle s’est alors mise à lui dresser, pêle-mêle, la liste de tout ce qui fait vibrer une vie : des sensations fugaces, des émotions, des émerveillements, des petits plaisirs, des grandes joies, mais aussi des déceptions et des chagrins, qui sont selon elles les jalons goûteux de notre vie qui donnent à l’existence toute sa texture, sa profondeur et sa saveur.
Alors aujourd’hui, j’ai eu envie de vous partager ma propre liste, glanée au fil de cet été comme on attraperait au vol des fragments délicieux pour les punaiser au mur et se lécher ensuite les babines devant cette fresque faite de sel, de miel, et de tout ce que la vie recèle.
Qu’est-ce qui rend la vie gourmande?
Ce qui rend ma vie gourmande c’est de dérober des heures à l’horloge en me réveillant de l’autre côté de l’Atlantique alors que tout le monde dort encore, de marcher dans mon quartier préféré et y réveiller ma créativité, de sortir de l’aéroport et rejoindre quelques minutes plus tard l’un de mes endroits préférés à Montréal, de retrouver le Saint-Laurent, ses habitants et tout ce qu’il a à nous offrir, de lire quelques pages d’un livre pour se désengorger, de ne pas souvenir de films qu’on a pourtant adoré, de mélanger les noms des groupes ou des artistes, des expressions aussi, souvent, de se dire que la nuit portera conseil, de porter ses lunettes de vue pour considérer les choses sous un autre œil, d’écrire ou lire une phrase qui rachète toutes les médiocrités, d’échanger des notes vocales avec ses amis, de prendre l’air seule en sortant du travail jusqu’au coucher de soleil, d’observer les derniers rayons d’une journée quelle qu’elle ait été, de raccourcir ses heures de sommeil pour que les insomnies paraissent beaucoup moins longues, de s’allonger sur le sable pendant des heures en dévorant des livres les fesses légèrement rosées par le soleil, de sentir son visage remplit de sel et se délecter d’une douche bien chaude en suivant, de passer des heures au marché à choisir les plus belles tomates, pêches, fraises ou abricots et s’en délecter chaque jour suivant, se promener à vélo sans savoir où vraiment aller, de danser toute la nuit avec des amies, de sentir l’air doux, ou piquant, ou électrique, d’agiter un grand coucou aux copines en sortant de l’eau ou sur la dune lorsqu’on les aperçoit, d’aimer l’idée d’un bain, d’aimer l’idée de ne pas réfléchir le matin si on aura froid dans la journée, de porter chaque jour un maillot de bain différent, de m’asperger du même parfum depuis des années, d’habiller ma personnalité du jour, de planifier ses journées au travail mais ne pas y arriver dans sa vie perso, de dire je suis trop contente de te rencontrer et de le penser, de sentir mes poils qui s'hérissent et mes émotions qui rougissent, de réaliser que finalement plus de personne que je ne le croyais lisent ce que je partage et apprécient mes aventures, de recevoir des compliments alors que je n’ai toujours pas pleinement conscience du bien que je peux faire autour de moi, de recevoir du courrier, d’écrire des cartes postales, de noter dans mon téléphone des citations qui m’ont particulièrement touchées alors que je sais pertinemment que n’irai plus jamais les relire, d’avoir ranger mon dressing par couleur, de mettre enfin de l’ordre dans mon téléphone, de trier des photos et se replonger de fait dans les souvenirs.
Ce qui rend la vie gourmande c’est de réussir à prendre suffisamment de recul sur une situation et de comprendre qu’il suffisait d’en lâcher prise, de s’inscrire dans un club de voile après en avoir rêvé des années, de partir en mer toute une journée, de voir les dauphins sauter juste devant soi, de mourir d’envie d’apprendre le piano sans pour autant prendre le temps d’y arriver, d’écrire à ses amis pour prendre de leurs nouvelles, de dire combien on les aime et s’organiser pour les voir, de se faire appeler Didine, Mandine, Mimi, Gourmandine, mon chat ou Amandine suivant le jour et les humeurs de chacun, de cuisiner pour ceux que j’aime et de dire que ça manque peut-être d’un peu de sucre ou de sel, d’ajouter un peu de sel dans les histoires, de jurer de ne pas répéter quelque chose et de tenir parole, de boire du bon vin au bord de la piscine, de retrouver des amis qu’on avait pas vus depuis des années, de rencontrer de nouvelles personnes et se dire ensemble qu’on a l’impression de se connaître depuis toujours.
Ce qui rend la vie gourmande c’est d’adorer une nouvelle recette et penser la manger tous les jours qui suivent, d’improviser des repas savoureux avec ce qu’il reste dans le frigo, de partir à l’improviste quelque part, d’oser partir seule, se délecter d’un délicieux déjeuner au bord d’un lac, de goûter le vin comme s’y on s’y connaissait alors qu’on ne peut duper personne sur ce point, de trinquer, de partager, de constater que le pain est délicieux et de flirter avec la satiété en en redemandant, d’être émue aux larmes devant un documentaire ou au cinéma, de manger lentement parce que la discussion prend toute la place en bouche, de se laisser aller à un dessert pour prolonger le moment, d’inviter et être invitée. Ce qui rend la vie gourmande c’est se crémer l'entièreté du corps après avoir pris le soleil et de s’imaginer un monde où l’on serait cette fille là bronzée toute l’année, c’est l’odeur de la crème solaire au début de l’été, c’est les paillettes sur l’horizon en fin de journée, de découvrir de nouveaux artistes et d’avoir envie de les suivre sur toute leur tournée, de partir en festival et se laisser porter par la musique jusqu’au petit matin, ne penser plus à rien pendant quelques instants, d’avoir envie de tout rencontrer de l’autre, de goûter l’instant flottant où tout est possible, de se délecter des gestes tendres qui cheminent de la racine des cheveux jusqu’au creux des hanches, de tirer des plans sur la comète et parfois préférer ne pas le faire, de ne pas avoir à tamiser la lumière ou qui l’on est, de s’étonner de profiter de la réalité aux projections, d’arriver à prendre mes responsabilités dans une débâcle, d’explorer de nouvelles façons de regarder, se toucher, palper, pincer ou se laper l’épiderme, de s’étonner de l’heure, toujours plus tôt ou plus tard que ce que l’on aurait imaginer.
Ce qui rend la vie gourmande c’est de retourner dans les mêmes restaurants comme on visiterait les membres de sa famille, de me sentir pompette après un verre, ou deux, ou trois et peut-être plus et de faire mine de le regretter le lendemain, de perdre mon français quand je suis accueillie au Québec, de partir en voyage sans programme précis, de s’aventurer seule dans les rues new-yorkaises, d’oser pousser la porte d’endroits merveilleux et de curieusement s’y sentir bien, de rencontrer du monde et se sentir admirée par notre courage, de cocher de nouvelles adresses qu’on avait précieusement notées depuis des années, de découvrir de nouveaux endroits, de passer une journée seule dans un musée, de ne penser parfois qu’à soi, de prendre le temps pour soi et d’y trouver un immense plaisir, de ménager un espace vacant dans sa valise pour accueillir des produits d’épicerie, de finalement ajouter un bagages en soute pour en faire profiter tout le monde, de multiplier mes visites à Montréal dans l’espoir secret qu’un jour je puisse vivre de part et d’autres de l’Atlantique, de choisir mes horaires de train pour arriver à l’heure des repas à destination, de manger gras en Amérique, trouver ça si bon sur le coup et le regretter juste après, de retrouver les intonations perdues en fin de phrases, de retrouver ses amis et s'apercevoir que c’est comme si nous n’étions jamais partis, d’entendre ma maman dire : “tiens, ça, tu peux le prendre” quand je farfouille dans ses affaires, de voyager avec quelqu’un que les moustiques préfèrent, d’appeler en visio son entourage pour leur montrer de belles choses, de trouver appétissant son bronzage bi-goût. D’être contente de rentrer.
Enfin, ce qui a rendu la vie gourmande cet été, c’est aussi de passer des heures dans l’océan, de partager une même passion avec des personnes merveilleuses, de se délecter de la moindre petite minute passer en mer, de penser un instant que le réveil sera beaucoup trop tôt et ne finalement jamais le regretter, de sortir, puis rentrer, puis sortir, puis rerentrer ma longue planche de sa housse, d’étendre le linge sur le balcon et le voir sécher en plein soleil, de se laisser surprendre, d’arrêter de caresser son chat pour qu’il en redemande, qu’on se blottisse contre soi, de renouveler la vie en se coupant les cheveux, de m’être réconciliée avec le chagrin et de lâcher prise sur ce qu’on ne peut contrôler, de prendre l’avenir avec légèreté, de parvenir à oublier l'existence du reste du monde pendant des heures, de sangloter devant un film, de rêver de feux de cheminée toute l’année et de soleil brûlant au bord de l’océan en même temps, de fendre une figue ou un abricot parfaitement mure, de prendre le temps de venir à pied ou à vélo, de se sentir prise en considération, de se jeter épuisée sur son lit et d’expirer un “aaaah” de soulagement, de prendre dans ses bras les gens que l’on aime, de se laisser prendre dans les bras par les gens qu’on aime, de se délecter des draps fraîchement changés, de recevoir un message de la personne à qui on était en train de penser, de reconnaître les léger frémissements caractéristiques de l’endormissement, de savoir que les choses auront un autre jour demain matin. De ne pas avoir froid aux yeux, ni au cœur.
Je pourrais poursuivre cette liste encore longuement je crois. Il n’est d’ailleurs pas impossible que j’y revienne souvent. Mais ce qui est particulièrement plaisant dans cet exercice c'est ce côté intarissable de mettre en lumière tous les plaisirs minuscules qui donnent une nouvelle texture aux jours. Nous sommes déjà en automne. On reprendra alors peut-être cette liste plus tard.
Et vous, votre été?